Ces immeubles sont bâtis à la fin XIXème et début XXème.
Le développement significatif des sites de production en manufacture-usine nécessite l’emploi et l’accueil d’un nombre croissant d’ouvriers. Ces sites étant implantés à l’écart des bourgs, les exploitants doivent prendre l’initiative de construire des logements pour leurs employés. Parfois, la motivation des dirigeants est philosophique ou philanthropique, mais elle répond surtout au besoin évident de tenir à proximité du lieu de travail ses ouvriers, afin qu’ils soient dans des conditions optimales de production (pas de long trajet le soir et le matin pour regagner son domicile, donc pas de retard et moins de fatigue).
Dans l’histoire du développement industriel, la création de logements peut également être une solution d’intégration d’une population étrangère demandée par l’entreprise pour ses compétences et qu’elle cherche à fidéliser. Ou encore une réponse à un mouvement social d’ouvriers contestant leurs conditions de vie et de travail.
Ces logements constituent une avancée en termes de confort.
Ces petits immeubles se situent à l’extérieur du site de production, dans une proximité relative. Ils sont parfois intégrés à un dispositif urbain, ville ou village, ou parfois placés sur des terrains libres, à proximité immédiate de l’usine-manufacture. Ils peuvent également être associés à d’autres constructions similaires dans une cité ouvrière ou une cité jardin.
1. Plan masse schématique de la situation de la construction vis-à-vis du village proche
Quoiqu’il en soit ces bâtiments sont connectés à une voirie, au bord de laquelle ils s’alignent soit perpendiculairement, soit parallèlement, avec souvent un retrait de quelques mètres.
2. Plan masse schématique de l’implantation de la construction par rapport à la voie
Certains de ces immeubles disposent de jardins, placés à l’arrière du bâtiment.
3. Schéma d’implantation
Le traitement des abords de ces constructions dépend de leur situation urbaine. A l'époque de leur construction, les immeubles se situaient généralement à l’écart des centres urbains et leur terrain n’était pas borné par des haies, des grilles ou des murs. Aujourd’hui, avec l’extension périurbaine des villes, ces bâtiments se retrouvent au milieu d’un tissu urbain diffus et il est nécessaire de marquer le périmètre des propriétés par des systèmes de clôture.
Par ailleurs l’appropriation des logements par les habitants a également conduit à une personnalisation et à une individualisation des jardins.
L’immeuble est toujours construit avec un retrait vis-à-vis de la voie, parfois au centre de sa parcelle. L’espace autour de la construction est soit :
Aux abords de la construction et particulièrement des accès, un dallage, pavage ou plus tard une dalle en ciment, est réalisé. Ce dispositif permet de créer un seuil d’entrée mais également de protéger la façade des salissures et des projections d’eau.
Les bâtiments à coursive possèdent un dallage de même dimension que cette dernière, tout le long du mur gouttereau qui la porte.
Ces petits immeubles peuvent avoir deux types d’organisation en plan. Cette organisation dépend du mode de desserte des logements : en gouttereau ou en pignon.
Petits immeubles avec accès en gouttereau
La distribution des étages supérieurs se fait par l’intérieur. La porte d’entrée se situe sur le mur gouttereau, en travée centrale. Elle aboutit à un hall et l’escalier dessert les appartements par paliers. L’escalier se développe perpendiculairement au mur gouttereau.
6. Croquis schématique du mode de distribution
La volumétrie de ces bâtiments est parallélépipédique et simple. Ils possèdent un ou deux étages. Le rez-de-chaussée est surélevé de quelques marches afin de permettre l’éclairage naturel des caves. La composition de façade est symétrique, le bâtiment est homogène. Les logements sont disposés parallèlement et/ou perpendiculairement à la façade en fonction de leur nombre souhaité par niveau et s’il y a l’utilité, les combles peuvent être aménagés en dortoirs. Dans les premiers temps, les appartements se composent d’une cuisine et de chambres, et sont mis à disposition une cave et un grenier. Ces appartements sont destinés soit à l’ouvrier et à sa famille, soit à un groupe d’ouvriers colocataires.
7. Volumétrie du bâti, Deluz (25)
L’écriture architecturale du bâtiment peut être plus ou moins banalisée ou empreinte de culture locale en fonction du choix des matériaux de construction. Néanmoins, on ne retrouve plus aucune similarité avec le corps de ferme. La composition de certains de ces immeubles est semblable, pour les plus petits, aux maisons de contremaître, à ceci près que l’immeuble est divisé en appartements et que les détails architecturaux sont peu nombreux et plus grossiers voire inexistants.
8.
Les plus grands immeubles peuvent faire environ 16-20m de long et 7-10m de large. Ils ressemblent alors à des maisons de maîtres ou à des auberges.
Le type de toiture ne diffère pas selon les régions mais en fonction de la taille du bâtiment et des moyens financiers engagés pour réaliser la construction. Ces constructions sont généralement couvertes par un toit en croupes ou demi-croupes. Ces formes de toit contribuent à donner une homogénéité à la construction.
9. Baume-les-Dames (25)
A Deluz (25), on rencontre une forme particulière de cette typologie. Cinq immeubles ont été construits bout à bout et l’ensemble constitue une « barre ».
10. Volumétrie du bâti, Deluz (25)
Selon l’époque de construction et les matériaux utilisés, le bâtiment a un caractère plus ou moins rural. Ainsi, on remarquera la rationalisation, la systématisation et la régularité du plan et des façades pour les constructions les plus récentes.
Petits immeubles avec accès en pignon
La distribution des étages supérieurs se fait par l’extérieur. Un escalier longe le mur pignon et aboutit à une coursive extérieure qui se développe le long du mur gouttereau et dessert les entrées des logements. Les logements ont donc tous un contact immédiat avec l’extérieur.
12. Schéma de distribution de l’étage
De volumétrie simple, ces bâtiments sont généralement longs, étroits et peu hauts (un étage, plus rarement deux). Ils réunissent, sous un toit à deux pans, des logements traversants, quasi-identiques, répétés et mis bout à bout perpendiculairement au mur gouttereau qui est de fait la façade principale de la construction.
13. Mélisey (70)
Souvent et probablement en raison du climat, la coursive n’est plus extérieure. L’escalier le long du pignon aboutit à un couloir intérieur qui dessert les logements.
14. Distribution de l’étage par un escalier extérieur puis par un couloir, La Longine (70)
Quelle que soit la date de construction, le système constructif reste le même. Les murs porteurs et les murs de refend viennent diviser dans la longueur le bâtiment et reprendre le poids de la charpente et des planchers.
Les matériaux varient en fonction des époques de construction.
Au XIXème, les murs sont en moellons liés au mortier de chaux et enduits. On utilise des pierres issues de carrières proches pour constituer la structure porteuse de l’édifice. Les moellons sont des pierres grossièrement équarries et posées en lits parallèles. Dans les murs en moellons, les chaînages, les soubassements et souvent les encadrements de fenêtres sont réalisés en pierres de taille. Ce matériau est plus dense et résiste mieux à la compression, c’est pourquoi il est employé aux endroits du mur soumis aux forces les plus importantes. Selon le bâtiment et l’époque de sa construction, ces pierres de taille sont plus ou moins équarries et travaillées.
Ici, par exemple, la construction est assise sur un soubassement en pierres dures, plus denses, moins poreuses et plus résistantes à l’eau ou à l’humidité. Les éléments en pierres dures dans la partie basse de la construction sont donc rarement enduits.
Outre l’aspect fonctionnel, le soubassement fait partie de la composition de façade classique d’un bâtiment : soubassement (les pieds), corps de bâti, et attique (la tête).
15. Soubassement en pierres dures, Deluz (25)
La pierre de taille est rarement employée pour constituer des murs entiers dans ce genre de construction, car ce matériau implique un travail de taille et une difficulté de mise en œuvre plus importante que le moellon. Il est donc plus cher. Cependant, il arrive que certains bâtiments de logements ouvriers soient une reconversion de bâtiments plus anciens en pierres de taille. La pierre de taille est généralement une pierre dure, dégauchie, équarrie, et taillée pour devenir un parallélépipède. Un mur en pierres de taille est donc constitué de blocs de pierre sensiblement de même dimension, montés les uns sur les autres en lits parallèles. En principe, les joints verticaux sont réguliers et fins. Les pierres sont liées au mortier de chaux.
A la fin du XIXème et au XXème, les matériaux employés sont de plus en plus pré-industrialisés ; l’utilisation de machines standardise leurs dimensions. L’utilisation du ciment, du béton et des briques creuses de béton aggloméré se généralise jusqu'à devenir les matériaux les plus employés en maçonnerie aujourd’hui.
Les coursives des immeubles avec accès en pignon sont en bois pour les plus anciennes puis en ciment. Elles sont portées par des poteaux en bois puis en acier, et par des consoles en bois, ou en acier ou encore en ciment. Le système porteur de la coursive est également employé pour porter le débord de toiture qui la couvre.
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18a, b et c. De gauche à droite. Coursive et avancée de toiture portées sur consoles sculptées, Ronchamp (70) / Coursive sur poutres consoles et avancée de toiture sur poteau métallique, Mélisey (70) / Avancée de toiture et coursive sur poteaux bois, Hérimoncourt (25)
A l’intérieur des logements, de nouveaux matériaux sont employés à la fin du XIXème et ils se généralisent au XXème : les carreaux de ciment, puis de céramique, les sols plastiques (linoléum). Ces matériaux lavables à grande eau s’inscrivent dans un courant de pensée sur le logement hygiéniste.
Les planchers et escaliers, en bois dans les constructions du XIXème, sont au XXème en béton armé et revêtus de carrelage ou de linoléum.
Les charpentes en bois restent traditionnelles.
La toiture reste traditionnelle, généralement en croupe ou demi-croupe, plus rarement en simple long pan. L’inclinaison des pans de toiture dépend de la surface à couvrir et des matériaux de couverture.
La toiture en demi-croupe et en croupe permet de protéger la construction des intempéries. Cette forme de toiture contribue également à donner à la construction une homogénéité.
Les débords de toiture sont souvent nuls (0-40 cm), sauf lorsque le bâtiment est desservi par une coursive. Dans ce cas, la toiture vient en débord au-dessus de celle-ci pour la couvrir entièrement (0,80m -1,20m).
19. Croquis
Le bois et les pierres de lave ont été employés en couverture sur des sites très anciens. Mais les tuiles plates, canal, en écailles puis, plus tard, mécaniques, sont préférées, car elles sont moins coûteuses, moins lourdes et moins délicates à poser.
Les premiers types de tuiles de terre cuite sont produits dans la région par des entreprises locales, disposant de sous-sol argileux. Les productions de tuiles locales ne sont pas nombreuses à perdurer après la première révolution industrielle et disparaissent en quasi-totalité à la seconde.
20. Diagramme des pentes
Au XXème, on a commencé à couvrir les bâtiments avec des tôles en métal galvanisé.
Pour les bâtiments les plus anciens, les proportions des ouvertures sont semblables à celles des fermes. Elles sont plus hautes que larges, pas très grandes, ni très nombreuses. Leur encadrement est en bois ou en pierres dures.
Pour les bâtiments plus récents, les proportions des fenêtres changent, elles sont toujours plus hautes que larges, mais s’allongent. Elles sont également plus nombreuses. Elles disposent de volets en planches. Les encadrements en bois puis en ciment ne sont pas laissés apparents.
Ce changement de dimension révèle une nouvelle pratique sociale du logement qui n’est plus seulement fonctionnel mais devient un espace de vie.
Les fenêtres sont composées de deux vantaux ouvrants à la française en bois à simple vitrage. Une deuxième fenêtre identique est parfois posée à l’intérieur pour se protéger du froid. Les volets de bois en planches pleines n’apparaissent qu’au XXème siècle.
Pour créer les encadrements de portes et de fenêtres, on utilise différents matériaux : la pierre de taille et le bois puis la brique et le béton. L’emploi de ces matériaux dépend de l’époque et des moyens engagés à la construction. Ils sont employés pour former des arcs (plein cintre, en anse de panier, surbaissés, etc.) ou des linteaux droits.
Les encadrements de fenêtres et de portes peuvent être dans certains sites très soigneusement dessinés et taillés. Les briques permettent de créer une ouverture en arc surbaissé et à moindre coût. Elles peuvent être saillantes et harpées.
Sur des demeures plus cossues peuvent être réaliser des motifs en pierres de taille.
Les encadrements en bois et parfois en pierres dures sont recouverts par l’enduit. Les pierres dures sont bouchardées grossièrement pour permettre à l’enduit d’adhérer.
Lorsque le chaînage d’angle était constitué de pierre taillée et bouchardée finement, il restait apparent. Ceci était particulièrement rare dans les constructions rurales.
24 et 25. Détail des linteaux cintrés en briques et pierres de taille. On note la clef pendante en pierre de taille de l’arc de la porte, Deluz (25) |
Les murs sont toujours enduits pour protéger la maçonnerie des intempéries. Traditionnellement, ils sont enduits à la chaux.
L’enduit à la chaux est passé en trois couches. Un temps de séchage de trois à cinq jours est respecté entre chaque passe. La première couche est le gobetis, c’est un passage grossier qui permet de combler les espaces entre les moellons pour rattraper la planéité du mur. La deuxième couche est le corps de l’enduit. Enfin, la dernière couche est la finition. Elle permet de donner l'aspect esthétique choisi à l’enduit, qui peut être plus ou moins lisse. La finition posée sur les immeubles de logements ouvriers n’est pas particulièrement soignée.
L’enduit est coloré à la deuxième et dernière couche par des pigments naturels mélangés à la chaux. La couleur de l’enduit varie en fonction des pigments trouvés dans la localité de la construction. En effet, les pigments (à la base de la couleur) proviennent de terres ou de pierre spécifique à un type de sol, comme par exemple les ocres du Jura.
Le pigment étant cher, l’enduit des logements ouvriers est souvent laissé de la couleur de la chaux.
L’enduit à la chaux demande un entretien annuel ou bisannuel, la façade n’est pas ravalée, on passe seulement un lait de chaux sur les murs. Cette passe est une couche superficielle qui permet de protéger le corps d’enduit des intempéries d’une année sur l’autre.
A partir du XXème siècle, les bâtiments sont enduits au ciment, ce matériau hydrofuge est passé en une fois et peut ensuite être peint. Il ne doit en principe s’appliquer que sur les maçonneries en béton ou liées au ciment, sous peine de causer aux maçonneries ou à l’enduit des désordres comme la présence d’humidité, le décollement des enduits.
Les enduits au ciment n’ont pas besoin d’être repris annuellement, mais lorsqu’il faut les refaire. Il faut ravaler la façade entièrement.
Aux XIXème et XXème siècles, on pose parfois sur la façade la plus exposée aux intempéries un bardage en tôle galvanisée ou zinc embouti pour protéger les enduits et les maçonneries. C’est l’équivalent moderne des tavaillons utilisés de la même façon aux XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles.
28. Demangevelle (70)
Certaines de ces constructions peuvent se singulariser par des détails esthétiques plus ou moins fonctionnels.
On remarquera les épis de faitage, corniches, des harpages, des pierres en saillie ou encore la réalisation de trompe l’œil, peints dans des couleurs différentes, pour souligner des encadrements de fenêtre ou dessiner un chainage d’angle.
Retrouvez ici les petits immeubles du Doubs évoqués dans la partie générale Description.