Loin d’être le fruit du hasard, l’implantation originelle d’un village dans son environnement répond à un certain nombre de « règles » non écrites, issues du bon sens et de la connaissance que les anciens avaient du milieu naturel dans lequel ils s’aventuraient. Les constructions devaient être implantées hors des zones humides mais proches de la ressource en eau, hors des meilleures terres cultivables mais également proches de celles-ci pour une exploitation facilitée, à l’abri des vents dominants, éventuellement en position défensive, etc.
Une lecture attentive du relief, restitué par les courbes de niveau, apporte un éclairage pertinent sur les raisons de tel ou tel type d’implantation, et permet de tirer des enseignements sur la manière de respecter la structure urbaine et paysagère d’un village lors de son extension.
Certaines communautés villageoises se sont installées sur le flanc d’une colline. Cette situation présente des avantages puisqu’elle permettait de se protéger des crues d’un cours d’eau situé en contrebas, ou de privilégier l’exploitation des terres agricoles sur un relief plus plat. Pour autant, l’accès au bourg pouvait en être rendu difficile.
Très impactant sur le paysage, l’urbanisation d’un coteau s’adapte à la topographie, ne serait-ce que pour constituer des accès aux diverses constructions. La structure urbaine est fréquemment composée de linéaires bâtis, suivant les courbes de niveau (relatifs à une même altitude).
Passenans (39) : Illustr. 1 Vue aérienne |
Illustr. 2 Topographie |
Tirant partie d’une topographie n’excluant pas de construire dans la pente, il est possible pour un village d’occuper une position plus haute, et de bénéficier d’un large panorama sur le grand paysage. Dans ce cas, l’aménagement profite en priorité aux espaces les plus plats.
Fontain (25) : Illustr. 3 Vue axonométrique |
Illustr. 4 Rapport à la topographie |
Lorsque la pente est trop importante, le développement tend à se rendre linéaire parallèlement à celle-ci. Une logique d’escalier se met en place, rendant les déplacements à pieds peu attractifs. L’avantage de cette configuration reste la vue sur le paysage en contrebas et, selon l’orientation du coteau, un ensoleillement important profitant en particulier à la culture de la vigne.
La topographie d’un paysage de plateau présente des similitudes avec celle des plaines, bien qu’elle soit en réalité plus complexe, notamment à cause du sous-sol karstique et du passé géologique glaciaire qui ont modelé les nombreuses ondulations animant ces espaces.
Il présente la particularité d’être plat et peut alors offrir un espace à la fois vaste et dégagé mettant ainsi à disposition des espaces propices à l’établissement d’une commune pouvant développer des activités de subsistance telles que l’agriculture.
Le village de Mignovillard (39) ne déroge pas à la « règle » de la logique topographique, en s’implantant aux endroits les plus plats d’un site au relief pourtant peu marqué, laissant vierge de toute construction le talweg à l’Ouest et l’épaulement de terrain au Nord-Ouest de son territoire.
Mignovillard (39) : Illustr. 1 Vue aérienne |
Illustr. 2 Topographie |
Dans le Doubs, la commune de Chamesey (25), est située sur un plateau au paysage très ouvert et dominé par la présence de forêts longtemps exploitées pour la scierie. Ce type de site permet une disposition du bâti plus aérée et diffuse.
Chamesey (25) : Illustr. 3 Vue aérienne |
Les villages implantés sur une crête sont encore plus rares que ceux des reculées. Ils n’en sont pas moins remarquables. Leur position dominante leur confère une visibilité exceptionnelle, leur silhouette se détachant du paysage de manière particulièrement nette.
Le développement linéaire, suivant la ligne de crête, est le plus fréquent.
Offlanges (39) Illustr. 1 Vue aérienne |
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Offlanges (39) Illustr. 2 Une implantation du bâti le long de la crête |
Le village n’est pas uniquement linéaire, mais la partie de l’éperon rocheux la moins large accueille un minimum de constructions, souvent ramassées entre elles. Si celui-ci dispose d’espaces plans plus importants, la construction se disperse dans une morphologie plus ramifiée.
Abbans-Dessus (25) Illustr. 3 Perspective du village | ||
Abbans-Dessus (25) : Illustr. 4 Topographie |
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Illustr. 5 Implantation se ramifiant dans la pente |
Abbans-Dessus (25) Illustr. 6 Organisation longitudinale du bâti |
A l’origine, le village des Bouchoux (39) occupe un petit éperon qui s’avance vers la vallée du Tacon, faisant saillie sur le versant. Ce promontoire est d’autant plus marqué qu’il s’insère entre deux talwegs à l’Est et à l’Ouest. Pour se développer, le village a colonisé le replat le plus proche, faisant franchir à l’urbanisation la limite naturelle du talweg Est.
Les Bouchoux (39) : Illustr. 5 Vue aérienne |
Illustr. 6 Topographie |
Le fond de vallée constitue un lieu d’installation privilégié, localisé fréquemment entre deux versants. Suivant le talweg, l’eau a tendance à s’y concentrer, acheminée par le lit mineur et les ruissellements le long des pentes.
Espace longitudinal et plat, il permet de s’affranchir de la contrainte du relief. Y implanter une activité est aisé, grâce à la facilité d’accès et la présence de l’eau.
Le cas particulier des reculées jurassiennes
Les reculées forment de profondes entailles dans le rebord du plateau jurassien, leurs parois sont souvent abruptes. Les quelques villages qui s’y sont implantés l’ont fait sous la forte contrainte du relief.
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Les Planches-près-Arbois (39) Illustr. 1 Vue aérienne |
Illustr. 2 Topographie |
S’implanter au bord de l’eau procure de nombreux avantages. Une telle situation n’est pas le fruit du hasard ; cette organisation est au contraire bien réfléchie.
Le cours d’eau revêt une utilité particulière selon les époques et les activités qui s’y développent. Il est d’abord une ressource permettant de subvenir aux besoins alimentaires (agriculture et pêche) des populations qui s’y installent. Une telle proximité est initialement vitale. Par ailleurs, l’eau était largement utilisée comme force motrice pour le développement d’activités artisanales. Les moulins étaient très répandus entre le XVIIIe et le XIXe, servant à produire huiles, farines ou encore produits de tanneries.
Quingey (25) : Illustr. 11 Vue aérienne |
Illustr. 12 Structure du centre-bourg
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Les morphologies les plus anciennes tirent parti d’une rive ; le cours d’eau constitue une barrière naturelle profitable à la protection du village. De véritables faubourgs peuvent ainsi être constitués, avec une densité importante. Le bâti est regroupé, formant des îlots étroits et continus. L’espace central correspond fréquemment au lieu commun par excellence (place frappée d’un monument, marché, aire de rencontre).
Avec la Révolution industrielle, les cours d’eau vont trouver de nouveaux débouchés. Moteurs du développement économique, les rives deviennent des sites où se polarise l’activité (tirant partie de la force de l’eau ou des transports fluviaux). Les connexions entre les rives sont alors plus aisées, et certaines communes se développent de part et d’autre. Une rupture est toutefois possible d’une rive à l’autre ; le bourg initial se détache ainsi d’un bâti moins dense et plus diversifié, mêlant habitations et bâtiments de production.
L'Isle-sur-le-Doubs (25) : Illustr. 13 Vue aérienne |
Illustr. 14 Equipements industriels
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L’urbanisation n’est pas égale sur chacune des rives. Certains secteurs sont principalement tournés vers l’activité, alors que d’autres concentrent davantage d’habitat. Les structures industrielles sont pour la plupart placées à proximité de la rivière, même si certaines typologies d’habitat peuvent s’y greffer également (jusqu’à intégrer une partie sur pilotis en aplomb du cours d’eau).
Port-Lesney (39) : Illustr. 15 Vue aérienne |
Illustr. 16 Topographie, rivière
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L’eau est vecteur de vie et d’énergie. Toutefois, une implantation à son contact ne présente pas que des avantages. Il existe un risque de crue, rendant certaines zones dangereuses à urbaniser car inondables. Certaines communes ont décentré progressivement leur urbanisation afin de gagner des espaces protégés de ce phénomène.
Chalèze (25) Illustr. 17 & 18 : urbanisation déplacée par rapport à la rivière |
La forêt est également un élément déterminant du paysage et de l’histoire d’un lieu. Au sein de la forêt de Chaux, 2ème plus vaste forêt domaniale de France, le village de la Vieille-Loye (39) représente la seule enclave non boisée du territoire forestier.
La Vieille-Loye (39) : Illustr. 1 Vue aérienne |
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Cette grande clairière s’est développée à la confluence de deux rivières, la Clauge et la Tanche, qui expliquent en partie la morphologie en deux parties du village. Dès l’origine, les constructions étaient relativement dispersées, bien que structurées en hameaux ou le long des chemins. L’exploitation intensive du bois pour alimenter la verrerie locale (réputée au XVIIIème siècle) et l’activité des charbonniers a sculpté le paysage actuel.
Avec une configuration légèrement différente, certains villages tiennent de la colonie. La déforestation vise à établir un noyau autonome ; les bâtiments publics structurent le tissu bâti et de larges zones cultivées s’immiscent entre forêt et habitations.
Chamesey (25) |
Chamesey (25) |
Illustr. 3 L'église est centrale et le contour de la commune est formé par les fermes en second plan |
Illustr. 4 Les habitations succèdent aux |
A partir d’un territoire complètement boisé, le défrichement est progressif. L’urbanisation se désenclave petit à petit, pour ne laisser que des résidus forestiers à distance des centre-bourgs. Lorsque le village s’est peu développé, la morphologie urbaine est marquée par une relative dispersion du bâti. Le large contour formé délimite le lieu de vie public ; les usages agricoles sont reportés en «périphérie» du village.
Indépendamment des lacs et des cours d’eaux, certains espaces présentent une humidité naturelle en sous-sol ou stagnante en surface. Celle-ci peut être notamment le fruit de résurgences. Une végétation et une faune peuvent y être spécifiques, la construction n’y a pas été développée en priorité.
Certaines communes ont opté pour une mise à distance de ces milieux. Dans d’autres cas, ces espaces sont inclus dans le périmètre urbanisé, laissés vides de constructions. L’urbanisation en dentelles est une morphologie héritée de ce principe. Les vides non bâtis et les espaces construits se succèdent ; le village est marqué par de nombreuses respirations végétales.
Grand'Combe-Chateleu (25) | |
Illustr. 1 Vue depuis l'une des zones humides | Illustr. 2 Répartition de la construction |
La présence de résurgences peut être couplée avec la proximité de cours d’eau. Une différence de topographie faible et des sols facilement saturés par l’eau souterraine amplifient le phénomène, en agrandissant les espaces potentiellement inondables.
L’urbanisation initiale s’avère très peu dense, mais le village conserve le principe de noyau. Le contexte privilégie les gros volumes bâtis, greffés sur le réseau de route.
Marquée par un climat continental à divers degrés, la Franche-Comté a vu une urbanisation spécifique se mettre en place. L’habitat traditionnel de ferme est ainsi conçu pour fonctionner en autarcie durant les périodes de grand froid (incluant des espaces pour les habitants comme pour le bétail et les engins agricoles).
A l’échelle de la commune, certains villages voient des constructions disposées afin de protéger des rigueurs de l’hiver les espaces publics : rues, places... Ces lieux de vie communs étaient alors moins exposés aux vents froids par une sorte d’enceinte.
Chaux-Neuve (25) : Illustr. 1 Avant les premières extensions urbaines, le bâti formait le cadre de la place principale, dominé par la fruitière |
Cette morphologie, propre à des villages réduits, marque une certaine cohésion. Malgré le caractère rural de la plupart de ceux-ci, les habitations sont très proches les unes des autres, voir groupées et contiguës. Le point d’orgue de la place est marqué par un élément public (bâtiment, monument) ou par le siège d’une activité localement structurante.
La problématique des rigueurs hivernales peut être traitée par une concentration des constructions dès l’origine du village. Sans nécessaire mitoyenneté, le bourg forme un agglomérat, avec une distance relative entre chacune de ces extrémités. Ce principe est en rupture avec la logique initiale du Haut-Doubs, où les fermes sont plus éloignées les unes des autres.
Chaux-Neuve (25) : Illustr. 2& 3 plans implantation du bâti ancien par périodes (illstr.3 : rouge pour le plus ancien) |
Le village se place ici en marge de la route, comme pour ne pas être coupé par elle. On parlera de village-tas, dans le sens où le tissu bâti n’est caractérisé que par habitations successivement implantées, sans autre logique que le regroupement (pas d’axes ou de centralités marquées).
Certains villages sont marqués par une double contrainte ; ils sont à la fois concernés par la proximité de l’eau, et au pied d’un relief. Le cours d’eau a dans un premier temps attiré des populations. Par la suite, le besoin d’extension s’est avéré de plus en plus difficile à satisfaire.
Selon le degré de pente et la quantité de surface aisément aménageable, la morphologie est plus ou moins comprimée. Dans un cas extrême, le développement urbain suit un simple linéaire. Les abords directs de la route, de part et d’autre, sont bâtis avec quelques regroupements de constructions supplémentaires quand la distance entre l’eau et le pied du relief le permet.
Illustr. 1&2 Glère, Doubs : topographie et photo de l'implantation des maisons La topographie implique de limiter l'urbanisation sur le coteau et trop proche de l'eau, d'où une morphologie linéaire |
Le potentiel de développement est ici très faible ; le manque d’opportunités (terrains en faible pente) conditionne le village à rester à l’écart dans son territoire. Pour autant, la richesse du cadre paysager est le contrepoids de cette faiblesse. La quiétude et le rapport à la nature pourra maintenir une attractivité relative vers le bourg.
Lorsque la contrainte naturelle est plus faible (pente plus douce ou distance entre le pied de versant et le cours d’eau), la forme urbaine est plus libre.
Le village peut s’établir dans la pente, au prix de voies relativement étroites. Les largeurs aménageables étant faibles, le bâti est réduit et greffé en bord de rue.
Lods (25) : Illustr. 2 Vue cavalière | Lods (25) : Illustr. 3 Photo |
La morphologie tend à suivre progressivement le coteau |
Le paysage urbain offert tire parti de la présence de l'eau comme du relief |
Avec un centre en position haute, le bourg bénéficie d’un ensoleillement important. Le développement sera limité à terme par des pentes trop fortes en haut de coteau. Pour lors, l’extension reste possible. Le regroupement d’habitations est plus vraisemblable que le modèle du village-rue.
Lorsque la proximité de l’eau n’est pas souhaitée, le bâti peut chercher à coller au plus près de la pente. Dans ce cas, les terrains les plus hauts sont aménagés en premier, et le développement n’est à terme plus possible qu’en descendant sur le coteau. Le but recherché est la protection thermique et des vents, voire le retrait par rapport aux circulations les plus importantes.
Beure (25) : Illustr. 4 Topographie | Beure (25) : Illustr. 5 Photo |
Si le centre bourg regroupe la majorité des constructions, le développement s'adapte à la topographie |
Une partie du vieux village occupe intégralement l'espace coincé dans le vallon |
La présence d’un cours d’eau peut être un atout supplémentaire, expliquant par ailleurs le creusement de la topographie. La morphologie est ici plus guidée par l’opportunité que par la contrainte.
Au-delà des évolutions récentes liées à la hausse de la démographie, la plupart des formes de village ont tenu compte de la présence de la route. Source d’échanges et de déplacements de personnes/marchandises, elle rend possible la vie du village ancestral. Certaines morphologies découlent d’une greffe sur cet axe ou au contraire d’un relatif recul par rapport au trafic.
La forme la plus connue est celle du village-rue, soit l’application à l’extrême d’un développement tirant parti de la route. Le modèle original est formé d’un linéaire de constructions de part et d’autre de la voie. Les rues parallèles en second rideau sont souvent apparues plus tardivement.
Illustr. 1 & 2 Les Fourgs (25) : Linéaire et photo La structure linéaire est particulièrement lisible en isolant visuellement sur le schéma le seul bâti |
Selon la largeur de la rue, celle-ci peut devenir l’espace public principal du village. Les constructions forment alors un cadre le long de celle-ci. Elles sont alignées pour la plupart, et relèvent d’un panel réduit de typologies architecturales.
Ces paysages souvent très ouverts et dédiés à la culture sur des terres fertiles paraissent plats au premier abord. Ils ne le sont jamais tout à fait, et même si ici le relief joue naturellement un rôle discret dans l’implantation d’un village, il n’en est cependant pas absent, comme le montre l’exemple du village d’Annoire (39).
Annoire (39) : Illustr. 1 Vue aérienne |
Illustr. 2 Topographie |
Il existe moins de 5 mètres entre le point haut et la point bas du village, et pourtant, c’est bien au sommet de la bosse que l’on trouve le bâti le plus dense, qui s’étale ensuite en suivant les ondulations des courbes de niveau – pourtant imperceptibles sur place.
Situé au sein du massif du Jura à une altitude moyenne de 1000 m, ce secteur est entièrement compris dans le périmètre du Parc naturel régional du Haut-Jura, et se caractérise par un habitat dispersé.
Les Hautes-Combes composent la frange orientale des hauts-plateaux et dominent la vallée de la Valserine.
L’habitat dispersé des villages des Hautes-Combes est lié à la conjugaison de plusieurs facteurs : la politique de la mainmorte, le défrichement par chaque nouveau colon-paysan et les conditions climatiques défavorables.
Cette pratique a contribué à fossiliser un habitat pionnier dispersé, en interdisant tout déplacement lointain et en empêchant la formation de village ou de hameau.
La commune la plus caractéristique est celle de Bellecombe.
Illustr. 1 Bellecombe (39) : Implantation du bâti